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            Cette question appelle une définition préalable des deux termes du sujet.

 

-       Le peuple est une entité abstraite, composée de citoyens indifférenciés. Le peuple est différent de la population, constituée de personnes d'âge, de religion, de culture, d'origine, de situation différents. Le seul peuple reconnu, c'est le peuple français, qui est insusceptible d'être fractionné. Le conseil constitutionnel a censuré la notion de peuple corse, composante du peuple français, au motif que la France comme le peuple français sont indivisibles (décision n°91-290 du 9 mai 1991, §13). Le conseil constitutionnel a jugé que l'unicité du peuple français est un principe à valeur constitutionnelle ; aucune fraction du peuple ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale, selon les termes de l'article 3 de la constitution (décision n°99-412 DC du 15 juin 1999 §5 et 10). Le principe d'unicité du peuple fait obstacle à ce que soient reconnus des droits collectifs à une communauté définie par son origine, sa culture, sa langue ou ses croyances (décision n°99-412 du 15 juin 1999 précitée).

Dès lors, la charte européenne des langues régionales porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français en conférant des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées (même décision). En réalité, l'unité du peuple français a été atténuée. En application de l'alinéa 2 du préambule de la Constitution de 1958, les peuples d'outre-mer bénéficient du droit à la libre détermination. L'article 72-3 de la Constitution de 1958 dispose que la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer. Les collectivités d'outre-mer peuvent adopter les règles particulières en faveur de leur population, lorsque ces mesures sont justifiées par les nécessités locales, en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier (art. 74 Const.). Les départements et régions d'outre-mer peuvent être habilités par la loi à adapter les lois de la métropole ou à fixer des règles pour tenir compte de leurs caractéristiques et des contraintes particulières (art. 73 Const.).

 

-       La souveraineté : c'est un pouvoir de droit originaire et suprême (Carré de Malberg). Traditionnellement, sous l'Ancien Régime, la souveraineté appartenait au Roi, représentant de Dieu sur terre. Avec les progrès de la démocratie, la souveraineté a été reconnue au peuple. L'article 3 de la Constitution de 1958 proclame que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par a voie du référendum. L'article 2 de la constitution symbolise la place centrale du peuple dans les institutions de la République puisque le principe est : gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. D'ailleurs le mot démocratie est formé de deux termes d'origine grecque, signifiant peuple (demos) et pouvoir (cratos).

            Dès lors, il apparaît clairement que dans les démocraties libérales telles la France le peuple est souverain. Mais les modes d'expression de cette souveraineté sont plus ou moins perfectionnés, ou, à l'inverse, défaillants.

 

 

 

I.        L'incontestable souveraineté du peuple dans les démocraties liberales

 

            Elle apparaît à trois niveaux : dans les textes, dans les décisions souveraines du peuple sur les questions essentielles, et enfin dans l'absence d'autorité susceptible de censurer les décisions du peuple.

 

A.   La souverainete du peuple est expressément reconnue par les textes constitutionnels français

 

  • La déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen est l'œuvre des représentants du peuple français (les trois premiers mots). Le préambule de la Constitution de 1946 est l'œuvre du peuple français, qui proclame à nouveau les droits inaliénables et sacrés tirés de la Déclaration de 1789, mais aussi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et les principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps. Le préambule de la Constitution de 1958 débute par la proclamation du peuple français. Ses articles 2 et 3 fondent la souveraineté sur le peuple, qui l'exerce. Le conseil constitutionnel a jugé en conséquence que la notion juridique de peuple français a valeur constitutionnelle (décision n°91-290 DC du 9 mai 1991, §12 ; décision n°99-412 du 15 juin 1999 § 5).

 

  • La pratique confirme la souveraineté du peuple résultant de notre histoire constitutionnelle. Les élus et les partis politiques se réclament sans cesse de la volonté du corps électoral, et viennent rendre compte à leurs électeurs de l'exercice de leur mandat. L'attitude des gouvernants et des assemblées est conforme aux vœux politiques qui se dégagent des élections. Les électeurs ne se bornent pas à désigner un candidat qu'ils chargent de vouloir à leur place. Il est évident que le corps des citoyens a une influence déterminante sur les décisions des gouvernants. Dans sa célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964, le Général de Gaulle déclarait qu' "il doit être évidemment entendu que l'autorité indivisible de l'Etat est confiée tout entière au président par le peuple qui l'a élu, qu'il n'en existe nulle autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui".

 

B.    L'arbitrage souverain du peuple sur les quesitons politiques fondamentales

 

            Dans un régime démocratique, c'est le peuple qui est appelé à se prononcer sur les questions fondamentales :

-      adoption d'une constitution, telle la constitution de 1946 ou de 1958, la réponse pouvant être négative (rejet par le peuple du premier projet de la constitution de 1946).

 

-      révision de la constitution, ayant par exemple pour objet l'élection directe du président par le peuple (référendum du 6 novembre 1962). Un référendum négatif entraîne normalement la démission du président qui s'est personnellement engagé dans la procédure de révision (démission du Général de Gaulle à l'issue du rejet par le peuple, le 27 avril 1969, du projet de révision du Sénat et de la création des régions collectivités territoriales).

 

-      adoption d'un traité portant constitution pour l'Europe, rejeté par le peuple français le 29 mai 2005, aboutissant à la paralysie du processus de ratification de ce traité et à la crise de la construction européenne.

 

            Selon l'expression du professeur Pierre Avril, le peuple exerce un arbitrage (entre l'exécutif et le législatif, entre la majorité et l'opposition, entre les partisans de la réforme et ses adversaires). De Gaulle avait écrit, dans ses mémoires d'espoir, que "la cour suprême, c'est le peuple".

 

C.   Impossibilité politique et juridique de censurer les decisions du peuple

 

            C'est la raison pour laquelle le conseil constitutionnel a refusé de se reconnaître compétent pour censurer la révision de la Constitution de 1958 tendant à l'élection du président de la République par les citoyens, alors même que le Général de Gaulle a irrégulièrement utilisé la procédure de l'article 11 au lieu de celle de l'article 89 de la Constitution (décision du 6 novembre 1962). Peut également être justifiée par la souveraineté du peuple la jurisprudence du conseil constitutionnel selon laquelle il ne censurerait les lois de nationalisation ou de privatisation d'entreprises privées décidées par les nouveaux gouvernants que pour erreur manifeste d'appréciation (v. décisions du 16 janvier et du 11 février 1982 sur les nationalisations). Par ailleurs, dès lors que le peuple a adopté la Constitution de 1958, on ne saurait reconnaître au droit communautaire élaboré par les institutions européennes (le conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, le conseil des ministres, la commission, le parlement), une autorité supérieure à celle de la constitution.

 

            Toutefois, cette souveraineté du peuple ne saurait être étendue au delà des limites du raisonnable :

-  le Parlement peut toujours modifier une loi adoptée par le peuple

 

-  dans le célèbre arrêt Canal du 19 octobre 1962, le conseil d'Etat a jugé recevable un recours pour excès de pouvoir formé contre une ordonnance prise par le président de la République sur habilitation d'une loi adoptée par référendum par le peuple français ; il a annulé cet acte administratif au motif qu'il méconnaissait les principes généraux du droit pénal.

 

            La souveraineté appartient indubitablement au peuple. Mais l'expression de cette souveraineté peut refléter plus ou moins fidèlement sa volonté.

 

 

 

II.     Les modes d'expression plus ou moins fidèles de la volonté du peuple

 

            Nul ne conteste la souveraineté du peuple, qu'il exerce dans de grandes occasions, rares en pratique, lorsqu'il est consulté. Cependant, cette expression peut être défaillante et il existe une confusion sur le titulaire même de la souveraineté.

 

 

 

A.   L'expression défaillante de la souverainete du peuple

 

A trois points de vue :

 

1.    Les procédés de démocratie semi-directe sont largement inemployés au niveau de l'Etat comme au niveau des collectivités locales. Notre système politique et administratif est fondé sur la démocratie représentative : les citoyens élisent des représentants qui sont chargés de prendre des décisions à leur place, et d'ailleurs en toute indépendance à l'égard des électeurs puisqu'ils sont titulaires d'un mandat indicatif (Condorcet prévenait les électeurs que s'ils votaient pour lui à l'Assemblée Nationale, il exprimerait es propres idées, et non celles de ses électeurs).

Aussi les gouvernants se méfient du peuple et n'ont jamais été favorables à l'application des procédés de démocratie semi-directe :

-       l'initiative populaire est inconnue en droit français. Seul un droit de pétition a été introduit dans le droit des collectivités locales par la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 (il ne s'agit que d'attirer l'attention des élus locaux sur une question locale, les élus pouvant ou non donner suite à la pétition).

 

-       le veto populaire à l'encontre d'une loi votée par le Parlement est inconnu dans notre droit.

 

-       le référendum constitutionnel a toujours existé, mais c'est la Constitution de 1958 qui a introduit dans l'article 11 le référendum législatif ou visant à ratifier un traité, qui, sans être contraire à la constitution, aurait des incidences sur les institutions.

                 La pratique du référendum fut essentiellement gaullienne, les autres présidents n'usant qu'exceptionnellement de la consultation référendaire. La pratique du référendum est et doit demeurer exceptionnelle au niveau de l'Etat, compte tenu des risques de désaveu encourus par les gouvernants et des réponses souvent conservatrices résultant des référendums au niveau des collectivités locales. La loi ne prévoyait jusqu'en 2003 que des avis consultatifs sollicités de la population par les élus locaux. La réforme du 28 mars 2003, qui utilise pour la première fois le terme de référendum local, le prévoit dans deux hypothèses (sur une affaire locale, à l'initiative des élus locaux ; sur les limites territoriales des collectivités, à l'initiative de la loi).

 

2.    La dénaturation du référendum.

 

-       Le référendum est une consultation portant sur une question. Mais les référendums gaulliens furent des plébiscites, avec comme enjeu le maintien au pouvoir ou la démission du général ("Moi ou le chaos", traduisait la presse). Pendant longtemps la question posée importait peu.

 

-       La consultation référendaire peut répondre à d'autres questions que celle qui est posée. Les électeurs appelés à approuver la ratification du Traité portant constitution pour l'Europe ont pris en compte autant le projet européen que l'hostilité à l'égard de la politique du Premier ministre, M. Raffarin. L'Europe a fait les frais d'une crise politique interne à la France.

 

3.    La déformation de la volonté du peuple par les modes de scrutin.

Maurice Duverger a mis en valeur l'absence de neutralité des modes de scrutin, qui influent sur le nombre et le comportement des partis politiques.

 

  • Le scrutin uninominal majoritaire à un tour conduit au bipartisme et à une représentation du parti vainqueur (ex : en Grande-Bretagne).

 

  • Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours conduit à un grand nombre de partis contraints à chercher des alliances au 2e tour (ex : élections législatives en France).

 

  • La représentation proportionnelle aboutit à des partis multiples et indépendants (puisque la chambre est le reflet des tendances du corps électoral). Mais même avec ce système, la neutralité du scrutin n'est pas garantie puisque la répartition des restes à la plus forte moyenne avantage les plus grands partis et celle au plus grand reste favorise les plus petits partis. Les partis minoritaires souhaitent évidemment l'application de ce mode de scrutin qui leur assure une représentation à l'Assemblée. Mais se pose ensuite la question des alliances entre partis pour constituer une majorité de gouvernement. Les partis sont maîtres du jeu politique, et la rupture des alliances débouche sur une instabilité gouvernementale chronique. Le caractère prétendument juste de la représentation proportionnelle a souvent pour contrepartie l'inefficacité gouvernementale.

Le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle peuvent être associés afin de dégager une majorité tout en garantissant la représentation des minorités. C'est ce mode de scrutin mixte qui a été retenu pour l'élection des conseils municipaux et régionaux.

 

            En définitive, l'expression de la souveraineté du peuple est une question non résolue.

 

B.    La confusion sur le titulaire de la souverainete

 

            Deux systèmes différents se sont affrontés sans qu'une réponse claire ne résulte de la Constitution de 1958.

 

-       La France a toujours retenu le système de l'Abbé Sieyès fondé sur la souveraineté nationale. Le peuple élit des représentants, mais ces derniers expriment la volonté de la nation, et non celle du peuple. Le mandat donné par le peuple est donc indicatif, le référendum n'a pas sa place dans ce système, le suffrage n'est pas nécessairement universel. Sur le plan politique, ce système a permis d'écarter le peuple de la vie politique, le pouvoir étant confisqué par la bourgeoisie libérale.

 

-       A l'inverse, Rousseau prônait le système de la souveraineté populaire encore appelé souveraineté fractionnée. Le droit de vote est universel, le mandat des représentants du peuple est impératif, la révocation des représentants en cours de mandat est justifiée.

 

            La Constitution de 1958 a opéré une confusion entre ces deux systèmes. La Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen énonce que la souveraineté appartient à la Nation, le mandat impératif est nul, mais cette souveraineté nationale est confiée au peuple. Par ailleurs, le droit de vote a été accordé aux femmes (en 1945), a été abaissé de 21 à 18ans, a été reconnu aux ressortissants communautaires pour les élections locales, ce qui conforte la place du peuple dans les institutions. L'avènement politique des masses, qui se traduit par la création des partis de masse vont dans le même sens.

 

            En définitive, le système démocratique implique la souveraineté du peuple mais l'expression de cette souveraineté se heurte toujours à des difficultés, voire à des manipulations.

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