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            Acte II de la décentralisation qui a débuté par une réforme constitutionnelle (du 28 mars 2003), alors que la réforme engagée par Gaston Defferre n'a pas été précédée par une réforme constitutionnelle.

Il y a une novation incontestable dans la mesure où l'architecture de la réforme traite dans trois articles les trois objectifs fondamentaux de toute la réforme de la décentralisation : le statut constitutionnel et administratif des collectivités locales (article 72 Const. 1958), la démocratie locale (72-1 Const. 58), les finances locales (article 72-2 Const. 1958).

En réalité, cette réforme qui était ambitieuse a débouché sur des résultats mitigés, modestes, très éloignés des propositions faites par l'un de ses inspirateurs, le président du Sénat, Christian Poncelet. Les éléments de continuité l'emportent sur les changements annoncés. La loi du 13 août 2004, qui opère le transfert des compétences a été adoptée sans débat au Parlement par application de l'article 49§3 de la Constitution. Tous les acteurs s'accordent pour dire que cette loi fleuve est défectueuse, infiniment complexe, très difficilement applicable, et devra être retravaillée.

 

 

I.                  Les signes novateurs d'une avancée de la décentralisation

 

            Sous trois aspects, reprenant la définition même de la décentralisation : structuration territoriale, compétences et budget, démocratie locale.

 

A.   Mise a jour de la structuration territoriale

 

  • La région devient une collectivité territoriale de statut constitutionnel. Mais l'Etat hésite toujours entre le département et la région, et la loi du 13 août 2004 a utilisé le terme de coordination pour caractériser le rôle de la région, ce qui est un recul par rapport aux attentes.

 

  • La réforme consacre la jurisprudence du conseil constitutionnel reconnaissant l'existence de collectivités territoriales uniques, à statut particulier (Mayotte, la Corse), entraînant une diversité territoriale et des inégalités entre collectivités.

 

  • La reconnaissance constitutionnelle des collectivités locales ne fait pas obstacle à la suppression d'une ou plusieurs collectivités (article 72 alinéa 1 Const. 1958), avec création d'autres collectivités, à la suite, le cas échéant, d'un référendum (art. 72-1 alinéa 3 const. 1958).

            Ces dispositions peuvent permettre de réformer la carte des régions (trop nombreuses et sous-dimensionnées par rapport à celles des Etats voisins, dans un espace européen sans frontières intérieures) ou des communes (les petites communes non viables). Mais la constitution réaffirme que l'organisation de la République est décentralisée (art. 1 const.), ce qui exclut toute évolution vers une structure fédérale retenue par la plupart des Etats voisins.

 

B.    Constitutionnalisation des conditions administratives et financieres des transferts de compétences

 

  • Application du principe de la subsidiarité tiré du droit communautaire, alors que le transfert de compétences par blocs avait été retenu, en vain, en 1982. Toutefois, la notion de subsidiarité est très ambiguë, très imprécise, et les transferts de compétences procèdent de règles complexes prévues par la loi du 13 août 2004.

 

  • Reconnaissance expresse d'un pouvoir réglementaire local et de l'expérimentation (encadrée par la loi), peu compatibles avec les principes d'égalité et d'uniformité qui caractérisaient le statut des collectivités locales. Toutefois, la loi encadre étroitement l'expérimentation demandée par des collectivités, en vue le cas échéant d'un transfert à toutes les collectivités des compétences transférées à titre expérimental à certaines d'entre elles.

 

  • Rappel du principe de l'interdiction des tutelles d'une collectivité locale sur une autre, mais possibilité de reconnaître à une collectivité le rôle de "chef de file" (article 72 Constitution de 1958). C'est la reconnaissance constitutionnelle d'un principe énoncé par la loi du 7 janvier 1983 relative aux transferts de compétences ; la notion de collectivité chef de file avait été mise en œuvre en pratique.

 

  • Constitutionnalisation du principe jusqu'alors législatif (et non appliqué en pratique) de l'exacte compensation financière des compétences transférées. Le contrôle qui sera exercé par le conseil constitutionnel constituera (on peut l'espérer) une garantie d'autonomie budgétaire pour les collectivités locales.

 

  • Evocation d'un pouvoir fiscal délégué par l'Etat aux collectivités locales (article 72-2 alinéa 2 Const. 1958). En réalité, la vraie question est celle du caractère suffisant des ressources budgétaires locales eu égard à l'augmentation continue et irrésistible des dépenses locales (loi dite de Wagner).

 

  • Garantie constitutionnelle de l'abandon par l'Etat de la recentralisation fiscale.

(Les recettes fiscales et les autres ressources propres doivent représenter une part déterminante des ressources totales des collectivités locales v. art. 72 Const. 1958). Caractère foncièrement et volontairement équivoque de cette disposition, qui entraînera, semble-t-il, des effets pervers.

 

  • Constitutionnalisation de la péréquation dont le législateur devra prévoir des dispositifs. C'est une disposition en réalité peu contraignante au regard des inégalités territoriales. La péréquation pratiquée dans le cadre de la DGF ou des fonds de répartition de la taxe professionnelle est restée jusqu'à présent très modeste.

 

 

C.   Constitutionnalisation modeste de la democratie participative

 

            Le but est de revivifier la démocratie locale déclinante fondée sur un système représentatif qui reconnaît exclusivement le pouvoir de décision aux autorités territoriales élues.

 

  • Constitutionnalisation du droit de pétition inconnu dans nos institutions, mais qui laisse entier le pouvoir d'appréciation et de décision des assemblées délibérantes locales (article 72-1 alinéa 1 Const. 1958).
  • Constitutionnalisation du référendum local décisionnel sur toutes les questions locales, susceptible d'être organisé dans toutes les collectivités territoriales à l'initiative de ces dernières. Jusqu'à présent, les référendums locaux n'avaient valeur que d'une simple consultation, que d'un simple avis. La réforme prévoit aussi des référendums en cas de création d'une nouvelle collectivité ou de modification des limites existantes, mais l'initiative appartient exclusivement à l'Etat.

 

            Toutefois, ces avancées se situent dans une continuité que l'on voulait précisément abandonner.

 

 

 

II.               Continuité de la subordination des collectivités territoriales à l'égard de l'Etat

 

            La réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 encourt une double critique :

-      elle n'énonce, bien au contraire, aucune garantie d'autonomie des collectivités locales opposable à l'Etat.

-      elle est foncièrement ambiguë dans un certain nombre de ses dispositions fondamentales.

 

A.   Absence de protection constitutionnelle de l'autonomie locale contre les atteintes de la loi

 

            Le droit des collectivités locales a toujours été caractérisé par la primauté de la loi (application du principe de légalité) et par la dépendance, la subordination des collectivités territoriales par rapport à l'Etat. C'est d'ailleurs la loi qui détermine les conditions de la libre-administration (ce qui est illogique, la norme inférieure fixant la portée du principe à valeur constitutionnelle).

 

  • L'objectif premier de la réforme, voulu par le président du Sénat, était de protéger l'autonomie locale, la libre-administration contre la recentralisation chronique opérée par l'Etat. Il fallait donner un contenu positif à la libre administration dans la constitution elle-même, afin que le conseil constitutionnel ne juge plus que la loi peut valablement diminuer l'autonomie locale tout en demeurant conforme à la constitution. En bref, il convenait de neutraliser, de tourner l'obstacle de la jurisprudence très jacobine du conseil constitutionnel.

 

  • La libre administration des collectivités locales n'a jamais été un principe de liberté au bénéfice des collectivités, c'est seulement un principe de compétence législative sur toutes les questions visant les collectivités locales. Le principe de libre administration manque de cohérence dans la mesure où sa portée, ses conditions d'application, dépendent de règles législatives de valeur inférieure.

 

  • Les nouveaux articles 72-1 et 72-2 reconnaissent dans chacun de leurs alinéas, le rôle de la loi ordinaire ou organique, pour définir tous les éléments du statut des collectivités territoriales (la création, la suppression des collectivités, les transferts et l'exercice des compétences locales, les expérimentations, la fiscalité transférée, l'exacte compensation des transferts de charges, la péréquation, l'exercice de la démocratie participative).

 

            Ainsi, la loi pourra, sans rencontrer d'obstacles constitutionnels centraliser ou à l'inverse, libéraliser le statut et les compétences des collectivités locales. La réforme constitutionnelle n'a donc pas prévu une véritable protection de l'autonomie locale contre les atteintes de la loi et de l'Etat, qui constituait l'objectif premier de la réforme.

 

 

B.    Une réforme fondamentalement ambiguë dans ses dispositions

 

1)      Pour plusieurs raisons absence de reconnaissance constitutionnelle des EPCI en dépit de leur montée en puissance

 

            La réforme constitutionnelle ambitionnait de moderniser, d'actualiser la décentralisation. Cependant, elle ne reconnaît pas la qualité de collectivité territoriale aux communautés. En effet, sont seulement mentionnés les groupements qui peuvent bénéficier de l'expérimentation et qui pourront exercer le rôle de chef de file. La raison de cette prudence tient à un certain conservatisme, qui conduit aussi à refuser l'élection directe des conseillers communautaires par les citoyens. Il est paradoxal de constater qu'une petite commune d'une centaine d'habitants est une collectivité territoriale de statut constitutionnel, alors que les communautés urbaines ou les communautés d'agglomérations ne bénéficient pas de ce statut. Mais la loi du 13 août 2004 contient plusieurs dispositions qui révèlent la montée en puissance des EPCI : possibilité offerte aux syndicats de communes de se transformer en EPCI à fiscalité propre sans dissolution préalable, institution d'une procédure de fusion entre EPCI, possibilité de transfert de pouvoir de police du maire au président de l'EPCI, possibilité de mise à disposition de l'EPCI des services communaux etc.

 

2)      Les vertus imaginaires du référendum local

 

            Toutes les expériences révèlent que le référendum local n'est pas la bonne réponse à une vraie question. En effet, la démocratie participative ne peut pas résulter de questions sommaires posées aux citoyens auxquelles ils répondent par oui ou non, ni de l'usage illégal du référendum par des élus locaux voulant s'opposer à l'Etat. En outre, les référendums appellent souvent des réponses conservatrices, comme le démontre la pratique suisse, ainsi que les deux référendums organisés en France à propos du statut de la Corse, de la Martinique et de la Guadeloupe. Par ailleurs, le référendum consultatif est maintenu par la loi du 13 août 2004.

 

3)      Protection formelle de la fiscalité locale

 

            La protection des collectivités locales contre la recentralisation fiscale ne répond à aucun critère objectif. Dire que les recettes fiscales et les autres ressources propres doivent représenter pour chaque catégorie de collectivité une part déterminante de l'ensemble des ressources locales est l'exemple même d'une paraphrase qui autorise toutes les recentralisations. Tous les spécialistes s'accordent pour reconnaître l'extrême complexité des règles conduisant à calculer les ratios, l'absence de garantie réelle de l'autonomie fiscale locale, et les effets pervers (la diminution des dotations versées par l'Etat qui entrent dans les ressources d'ensemble).

 

4)      Les risques d'accroissement des inégalités territoriales

 

            La réforme donne un fondement constitutionnel à la diversification territoriale, aux inégalités entre collectivités et donc entre citoyens dans l'accès aux services publics locaux. Plus généralement, la décentralisation en elle-même ne peut qu'accroître les inégalités dans la mesure où les collectivités exercent un certain pouvoir de décision en fonction de leurs ressources. L'article 72-2 in fine de la Constitution de 1958 évoque la péréquation sans fixer d'objectifs précis ou d'obligations incombant au législateur. Jusqu'à présent, la péréquation opérée dans le cadre de la DGF (dotation globale de fonctionnement) ou dans celui des fonds de taxe professionnelle n'a débouché que sur des résultats modestes, dans la plus grande opacité juridique. Le seul garde fou réside dans la règle dégagée par le conseil constitutionnel et reprise par l'article 72 selon laquelle les transferts de compétences ne sauraient générer des inégalités mettant en cause les conditions essentielles d'exercice des libertés publiques.

 

 

            En définitive, la réforme constitutionnelle de mars 2003 maintient, sans l'altérer, la dépendance, la subordination des collectivités locales à l'égard de l'Etat. Celles-ci doutent de la sincérité de l'Etat, pour lequel la décentralisation ne serait qu'un moyen habile visant à transférer ses déficits, ses charges financières vers les collectivités locales. Edgar Faure définissait, il y a un demi-siècle, la décentralisation comme étant la décentralisation du déficit de l'Etat vers les collectivités locales.

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