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1.         Le principe d'égalité est un principe fondamental de notre droit, inspiré par la révolution française et solennellement affirmé par la Déclaration des droits de l'Homme et des Citoyens (article 6 : la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse). C'est un principe à valeur constitutionnelle qui s'impose au législateur (c'est le principe le plus souvent invoqué devant le conseil constitutionnel). C'est aussi un principe général du droit dégagé par le conseil d'Etat qui s'impose à tous les actes pris par l'administration (égalité des usagers du service public, des usagers du domaine public, des candidats à un concours, des fonctionnaires appartenant à un même corps etc.). C'est aussi le fondement de la responsabilité sans faute de l'administration, lorsqu'un dommage grave et spécial affecte une personne déterminée, entraînant une rupture de l'égalité devant les charges publiques. L'article 1er de la Constitution de 1958 affirme que la France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion.

 

2.         Le principe égalitaire est renforcé par le principe de légalité, l'indivisibilité de la République et la souveraineté nationale.

Le principe de légalité, c'est-à-dire la primauté de la loi adoptée par l'Etat, garantit l'application du principe égalitaire. Depuis l'abolition des privilèges dans la nuit du 4 août 1789, les révolutionnaires ont estimé que la loi était la garantie du principe d'égalité (art. 6 : "la loi doit être la même pour tous").

Le principe de l'indivisibilité de la République, énoncé par l'article 1er de la Constitution de 1958, implique les mêmes règles pour tous les citoyens, ces règles résultant de la loi. D'ailleurs la souveraineté est nationale, et aucune section du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice (art. 3 de la Constitution).

            En définitive, le principe égalitaire correspond à un Etat unitaire, centralisé, producteur de lois indistinctement applicables à tous les citoyens. En revanche, la diversité des règles de droit, des statuts juridiques, est assurée dans un Etat fédéral (chaque Etat fédéré adopte ses propres lois).

 

3.         La décentralisation est nécessairement une source d'inégalités.

  • La décentralisation repose sur une certaine marge de manœuvre, une certaine autonomie, reconnue aux collectivités territoriales. Depuis 1946, cette autonomie est fondée sur le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Cette autonomie, cette marge de manœuvre, est exercée par des élus locaux, responsables devant la population. Il en résulte que le nombre et la qualité des services offerts aux habitants, le choix des investissements, la préférence donnée à une politique locale particulière (en faveur des transports, du tourisme etc.), les choix budgétaires et fiscaux, dépendent de décisions prises par les organes délibérants de la collectivité.

Cette marge de manœuvre des collectivités locales est garantie par le principe d'interdiction des tutelles d'une collectivité territoriale sur une autre, énoncé par l'article 72 alinéa 5 de la constitution.

En dehors même des choix réalisés par les élus locaux, la faiblesse des moyens humains et budgétaires de certaines collectivités (petites communes notamment) les réduit à survivre et n'à offrir à leurs habitants qu'un strict minimum de services publics.

 

 

  • Comment concilier le principe égalitaire qui résulte de la Constitution et de la loi (la même règle pour tous les citoyens, d'une part, les mêmes règles pour toutes les collectivités locales, d'autre part), avec les progrès de la décentralisation ?

            Car la décentralisation est une nécessité, eu égard aux difficultés budgétaires de l'Etat (qui souhaite décentraliser aussi ses déficits) et à une exigence de gestion efficace dans une Europe sans frontières intérieures (beaucoup d'Etats européens ont adopté une structure fédérale).

              La conciliation entre le principe d'égalité et la décentralisation est difficile car la décentralisation repose sur des inégalités et en entraîne de nouvelles. D'où des solutions variables, ambiguës, que l'on peut étudier en distinguant

-      l'application du principe égalitaire aux collectivités locales, c'est-à-dire entre elles ;

-      et l'application de ce même principe à toutes les personnes impliquées par la gestion et les décisions locales (les usagers des services publics locaux, les entreprises, les élus locaux).

 

 

 

I.        L'uniformite de regime des collectivites locales mise a mal par la decentralisation

 

Le droit des collectivités locales a considérablement évolué. A l'origine, l'idéal révolutionnaire fondé sur l'égalité impliquait l'uniformité du statut des collectivités territoriales. Cette conception a été notablement atténuée à mesure que la décentralisation a progressé. Notre droit associe par conséquent l'uniformité et la diversité territoriales, d'une façon ambiguë.

 

A.   Un droit des collectivités locales encore fondé sur l'uniformité de regime des collectivités

 

            A tous égards, le droit des collectivités locales a conservé l'uniformité de régime établi à partir de la révolution, c'est-à-dire un même modèle juridique pour toutes les collectivités locales, à quelque catégorie qu'elles appartiennent. Le fonds commun, le socle juridique est constitué par les règles et principes suivants.

 

1)      Institution des collectivités par l'Etat et absence d'autodétermination

 

            La définition et le régime des collectivités territoriales reposent sur la constitution elle-même (Titre XII, des collectivités territoriales, le titre XIII contenant des dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie), et sur la loi qui fixe les règles et détermine les conditions de la libre-administration.

            Par conséquent, une collectivité territoriale ne peut pas décider elle-même de sa création de ses limites, et le droit de sécession n'est pas reconnu.

            La raison tient à l'existence d'un seul peuple, le peuple français, qui est seul souverain, et qui seul est source de pouvoir. Le conseil constitutionnel a censuré, pour ce motif, la notion de peuple corse, composante du peuple français, dans sa décision du 9 mai 1991.

            C'est l'Etat qui impose une organisation décentralisée de la République, ainsi que le prévoit l'article 1er de la Constitution de 1958. Elle exclut par définition le fédéralisme, elle garantit la prééminence de l'Etat et la dépendance, la subordination des collectivités territoriales à l'Etat et à la loi.

 

2)      Absence de pouvoir d'auto-organisation reconnu aux collectivités territoriales

 

  • L'organisation interne des collectivités locales, prévue par la constitution et la loi, s'articule autour d'un organe délibérant et d'une autorité exécutive. Ces autorités territoriales sont seules habilitées à prendre des décisions locales, en leur qualité d'élus locaux et en vertu du principe de la démocratie représentative.
  • La compétence des collectivités locales est en principe générale. Une certaine marge de manœuvre leur est reconnue. Les actes qu'elles édictent présentent toujours un caractère administratif et sont susceptibles de recours pour excès de pouvoir. La loi a toujours organisé un contrôle sur les personnes et sur les actes, les modalités ayant évolué selon les époques (ex : suppression des tutelles et institution d'un contrôle de légalité général et d'un contrôle budgétaire par la loi du 2 mars 1982 modifiée).
  • Le pouvoir fiscal appartient à l'Etat (principe de légalité de l'impôt), qui peut accorder une certaine marge de manœuvre aux pouvoirs locaux (ex : pour le vote du taux des 4 vieilles). Les 4 vieilles, qui remontent au lendemain de la révolution, sont la fiscalité locale de base, présentant le caractère d'une fiscalité d'empilement (en principe chaque niveau de collectivité perçoit une fraction de chacune de ces 4 vieilles). Donc uniformité du système fiscal local imposé par l'Etat.

 

3)      Absence de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre

 

            Principe législatif énoncé par la loi du 7 janvier 1983 et auquel la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 a conféré valeur constitutionnelle (art. 72 de la Constitution). De la préservation de l'autonomie locale résulte aussi la règle selon laquelle le même élu ne peut présider à la fois un conseil général et le conseil régional (en application de la loi du 30 décembre 1985 sur la limitation du cumul des mandats).

 

4)      Uniformisation des règles applicables à l'ensemble des collectivités locales

 

            De très nombreuses règles sont communes à l'ensemble des collectivités territoriales (et aussi aux EPCI), qu'il s'agisse des dispositions statutaires relatives aux élus locaux (issues notamment de la loi du 3 février 1992), des droits et garanties reconnus aux citoyens dans leurs relations avec les administrations (contenus dans la loi DCRA du 12 avril 2000), des règles de la fonction publique territoriale, du droit à l'information des élus et du public (issu notamment de la loi ATR du 6 février 1992), du contrôle exercé par le préfet sur les actes des collectivités locales (lettres d'observations, déféré préfectoral, contrôle budgétaire) etc.

            L'ensemble de ces règles est contenu dans un même code, le CGCT, avec cependant des règles particulières pour chaque catégorie de collectivité correspondant aux différentes parties du code.

            Mais depuis longtemps déjà, le législateur a multiplié les exceptions à l'uniformité du régime des collectivités territoriales. Le développement de la décentralisation a accentué cette tendance vers la diversité territoriale.

 

 

 

B.    La diversité territoriale accrue par la décentralisation

 

  • L'uniformité de régime applicable aux collectivités locales et donc l'égalité entre collectivités se sont toujours heurtées à des réalités sociologiques. Le nombre d'habitants, l'implantation des entreprises, le dynamisme économique, la richesse fiscale entraînent des inégalités profondes entre collectivités et une offre de service public très variable selon les collectivités (avec la disparition de services publics essentiels - poste, perception, etc - dans les communes rurales).
  • La décentralisation développée à partir de 1982 et accrue en 2003 a institué délibérément des dérogations au régime de droit commun des collectivités territoriales. De la sorte, la politique de décentralisation accroît les inégalités territoriales, sans avoir mis en place des mécanismes compensateurs, correcteurs, véritablement efficaces (c'est-à-dire la péréquation). On peut estimer que la politique de décentralisation engagée à partir de 1982 a été pensée et voulue pour le bénéfice des grandes collectivités.

Notre droit admet la parfaite validité des régimes particuliers spécifiques, dérogatoires, sous tous les aspects intéressant les collectivités territoriales.

 

1)      La notion même de collectivité territoriale recouvre des situations très différentes

 

            Le titre XII de la constitution groupe les collectivités de métropole et celles d'outre-mer, soumises à des règles distinctes. Un titre XIII établit des dispositions transitoires pour la Nouvelle-Calédonie.

            Les collectivités d'outre-mer sont les départements et les régions d'outre-mer, d'une part, des autres collectivités d'outre-mer visées à l'article 74 d'autre part (il s'agit des territoires d'outre-mer, mais le terme n'est pas utilisé).

            Les collectivités territoriales d'outre-mer ne répondent pas aux critères et conditions dégagés pour les collectivités de métropole.

  • La constitution reconnaît expressément qu'elles représentent des peuples particuliers, distincts du peuple français.

            L'article 74 reconnaît que les collectivités relevant de ce régime (auparavant appelés territoires d'outre-mer) ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République.

            L'article 77 se réfère à la citoyenneté néo-calédonienne.

En d'autres termes, ce qui a été refusé au peuple corse, composante du peuple français, est reconnu aux peuples français d'outre-mer.

 

  • Le changement de statut de ces collectivités d'outre-mer nécessite obligatoirement la consultation des populations (art. 72-4, 73 dernier alinéa), alors qu'en France métropolitaine, le référendum décisionnel sur la création de collectivités territoriales ou de modification de l'organisation ne résulte que d'une loi (art. 72-1 alinéa 3). Avec la consultation obligatoire des populations, on se rapproche de l'autodétermination.

 

  • Les collectivités d'outre-mer interviennent dans le domaine de la loi, elles ont reçu délégation du pouvoir législatif, dans les conditions prévues par la constitution.

            Sous deux formes :

-  les départements et les régions d'outre-mer peuvent être autorisés par la loi à adapter les lois nationales pour tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières (art. 73 alinéa 2).

-  ces collectivités peuvent prendre des actes dans des matières législatives qui leur ont été déléguées (art. 73 alinéa 3, 4, 5 et 6). Les territoires d'outre-mer visés par l'article 74, exercent des compétences dans les matières législatives que l'Etat leur a transférées.

            Les actes pris par les collectivités d'outre-mer dans les matières législatives transférées relèvent du contrôle du conseil d'Etat (art. 74), excepté pour des actes pris par les autorités de Nouvelle-Calédonie, qui sont des lois de Pays, et qui relèvent du contrôle exercé par le conseil constitutionnel (art. 77).

            A l'inverse, excepté dans le cadre de l'expérimentation, les collectivités locales de métropole ne peuvent pas prendre des actes dans le domaine de la loi.

 

2)      La constitution et la loi peuvent instituer de multiples statuts spécifiques, parfois uniques, dérogatoires au droit commun

 

-       La loi peut instituer une collectivité territoriale unique, c'est-à-dire ne comprenant qu'un exemplaire telle la Corse, ainsi que l'a jugé le conseil constitutionnel (décisions du 25 février 1982 et du 9 mai 1991), ou Mayotte.

-       Les départements et les régions d'outre-mer relèvent de régimes spécifiques par rapport au statut des départements et des régions métropolitaines (art. 72-3), pour tenir compte de leurs caractéristiques et contraintes particulières (art. 73).

-       La Nouvelle-Calédonie est soumise à des règles qui lui sont propres, énoncées notamment par le titre XIII de la constitution.

-       Idem pour les terres australes et antarctiques françaises dont la loi détermine le régime et l'organisation particulière (art. 72-3 dernier alinéa).

-       Les collectivités locales de métropole ne sont pas nécessairement soumises au même régime. Le législateur a pu instituer des divisions administratives (les arrondissements) à Paris, Lyon et Marseille (v. CC 28 décembre 1982). L'exécutif local n'est pas nécessairement un élu de la collectivité, dont le caractère décentralisé ne peut être contesté pour ce motif. Ainsi, avant le transfert des exécutifs en 1982, le préfet était l'exécutif du département collectivité territoriale.

 

            En définitive, les multiples statuts particuliers atténuent fortement l'uniformité de régime des collectivités territoriales.

 

3)      Les compétences des collectivités territoriales ne peuvent plus être définies par la notion d'affaire locale, présentant un caractère administratif

 

            Lorsque la constitution ou la loi le prévoit, les collectivités territoriales peuvent exercer des compétences et prendre des actes dans des matières législatives, relevant par définition de la compétence de l'Etat ;

            Il existe 3 illustrations de la compétence exercée par les collectivités territoriales dans les matières législatives :

-       l'expérimentation, permettant aux collectivités de déroger, sous certaines conditions, aux dispositions législatives ou réglementaires (art. 72 alinéa 4).

-       l'adaptation des lois métropolitaines par les assemblées des départements et régions d'outre-mer (art. 73 al. 1 et 2), et par l'assemblée de Corse (art. L 4422-16 CGCT).

-       le transfert de compétences législatives aux assemblées de toutes les collectivités d'outre-mer (art. 73 al. 3 et 74).

 

 

 

 

4)      Les actes des collectivités locales relèvent de statuts très différents

 

            L'assemblée de Nouvelle-Calédonie adopte des lois de pays qui relèvent du contrôle exercé par le conseil constitutionnel.

            Les collectivités d'outre-mer prennent des délibérations sur des matières législatives qui leur ont été déléguées. Cette possibilité est aussi reconnue dans le cadre de l'expérimentation, les collectivités dérogeant ainsi aux règles législatives.

            L'assemblée de Corse peut être habilitée à modifier, par ses délibérations, des décrets ou des arrêtés, afin de les adapter à la réalité insulaire.

 

            En définitive, la loi votée par le Parlement relative à l'organisation territoriale de la République n'est plus la même règle pour toutes les collectivités. Il peut y être dérogé et des adaptations peuvent être apportées par les assemblées délibérantes elles-mêmes.

 

            La marge de manœuvre reconnue aux pouvoirs locaux entraîne nécessairement des inégalités, des discriminations, des différences de traitement entre les citoyens.

Il en va ainsi lorsque des taxes facultatives sont instituées, lorsque des services publics locaux facultatifs sont créés. A noter que l'article 74 de la constitution autorise les mesures de discrimination positive adoptées par les collectivités d'outre-mer relevant de ce régime en faveur de leur population dans plusieurs domaines, par exemple l'emploi (ce sont des discriminations juridiques voulues pour atteindre une égalité de fait).

 

5)      L'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre, qui garantit l'égalité entre collectivités territoriales est écartée dans le cas des collectivités chef de file (art. 72 alinéa 5)

 

            Ajoutons que la priorité de la région pour l'octroi des aides directes a été critiquée au motif qu'elle instituait une tutelle sur les autres collectivités.

            En définitive, l'uniformité de statut des collectivités territoriales, et l'égalité entre collectivités qui en résultait, sont largement abandonnées.

            Le même constat pessimiste peut être dressé lorsque l'on examine la situation de toutes les personnes impliquées par l'évolution de la décentralisation.

 

 

II.     Le principe d'égalité entre les administrés mis à mal par la décentralisation

 

            La problématique de l'égalité des citoyens confrontée à la décentralisation est exactement la même que celle des collectivités locales.

            La primauté de la loi, l'indivisibilité de la République, la valeur juridique reconnue au principe égalitaire (principe de valeur constitutionnelle et principe général du droit) imposent un traitement égal pour tous les citoyens ;

            Mais les spécificités de certaines collectivités territoriales (Corse, collectivités d'outre-mer), les marges de manœuvre offertes par la constitution et la loi, le manque de moyens des petites collectivités, conduisent inévitablement à des traitements différents. La décentralisation ne peut qu'accentuer les inégalités entre les citoyens.

            Le problème de l'égalité affecte la situation du citoyen et celle des entreprises.

 

 

 

A.   Les ruptures d'égalité entre citoyens résultant de la décentralisation

 

            La portée du principe égalitaire est depuis très longtemps atténuée dans notre droit, en dehors de toute considération liée aux inégalités entraînées par la décentralisation.

Selon l'objet de la discrimination, le principe d'égalité est plus ou moins bien garanti. Le droit n'offre pas de réponse uniforme.

 

1)        En vertu d'un principe général du droit inclus dans les lois du service public (dites lois de Rolland), le principe d'égalité entre les usagers régit le fonctionnement des services publics, et donc celui des services publics locaux.

            En réalité, l'égalité entre les usagers des services publics peut être valablement écartée lorsque les usagers ne sont pas placés dans des situations objectivement identiques, ou lorsque la loi a expressément écarté ce principe, ou encore lorsqu'il existe des considérations d'intérêt général dûment établies.

            Par exemple une discrimination tarifaire pour l'accès à la cantine scolaire peut être valablement établie entre les enfants dont les parents résident sur le territoire de ladite commune, et ceux dont les parents habitent dans les communes environnantes (parce que les premiers financent par leurs impôts locaux ce service public municipal, v. CE 5 octobre 1984 Préfet de l'Ariège, Rec. 315, AJDA 1984 p.675).

Des discriminations tarifaires établies en fonction des ressources peuvent être valablement établies (CE 20 novembre 1964 Ville de Nanterre, Rec. 563, AJDA 1964 p.686, à propos de l'accès ouvert à tous, d'un cabinet dentaire municipal, avec des tarifs différenciés en fonction des revenus des administrés ; CE 20 janvier 1989 CCAS de la Rochelle Rec. 8, AJDA 1989 p.398, à propos des tarifs différenciés d'une crèche communale établis en fonction des ressources des familles et du nombre de personnes vivant au foyer).

En revanche, ont été jugée discriminatoires, et donc illégales, des différences établies dans les droits d'inscription applicables respectivement aux anciens et aux nouveaux élèves d'une école de musique (CE 2 décembre 1987 Commune de Romainville, Rec. 556, AJDA 1988 p.359).

 

2)        Le conseil d'Etat a reconnu le principe d'égalité des citoyens devant le suffrage. Il a jugé, sur ce fondement, que le gouvernement doit tenir compte de l'évolution démographique pour remodeler les circonscriptions cantonales du département (CE 13 novembre 1998 Le Déaut ; CE 21 janvier 2004 Guindre et département des Bouches du Rhône).

 

3)        La parité hommes/femmes a soulevé des difficultés, pour toutes les élections, et qui ont justifié l'édiction d'une disposition constitutionnelle spécifique sur cette question.

  • Le conseil constitutionnel avait refusé, en 1982, que les listes de candidats aux élections municipales comportent au moins 25% de femmes, au motif que le droit de vote et d'éligibilité ouvert aux citoyens est indépendant de leur sexe (CC 18 novembre 1982 Election des conseillers municipaux). Le même raisonnement a conduit le conseil à invalider une disposition législative prévoyant que chaque liste de candidats aux élections régionales comporte autant de femmes que d'hommes (CC 14 janvier 1999 Mode l'élection des conseillers régionaux).
  • Pour surmonter ce blocage, une réforme constitutionnelle a ajouté un alinéa à l'article 3 de la constitution de 1958 prévoyant que "la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives" (issu de la réforme du 8 juillet 1999).

Cette disposition valide les discriminations positives. Elle a été mise en œuvre par la loi du 6 juin 2000 qui impose désormais une stricte parité entre les deux sexes lorsque l'élection résulte d'un soutien de liste. Cette loi s'applique notamment aux élections régionales et municipales, dans les communes de plus de 3500 habitants.

Cette loi a pris des mesures pour ne pas que les femmes soient reléguées en fin de liste.

 

4)        La décentralisation peut menacer l'égalité des citoyens dans l'exercice des libertés publiques. Aussi, le conseil constitutionnel a jugé que, si le principe de libre administration a valeur constitutionnelle, il ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles d'application d'une loi organisant l'exercice d'une liberté publique ne soient pas les mêmes sur l'ensemble du territoire.

            Par conséquent, lorsque les libertés publiques sont en cause, la loi ne saurait autoriser les collectivités territoriales à instituer des régimes différents d'une collectivité à l'autre, en méconnaissance du principe d'égalité. Il existe donc un corps de libertés publiques insusceptibles d'être appliquées de façon différenciée sur le territoire de la République.

Cette solution s'impose à la loi qui autorise des expérimentations dérogeant aux lois et aux règlements (art. 72 alinéa 4). Elle s'impose aussi lorsque l'Etat transfère des matières législatives aux régions et départements d'outre-mer, ou leur permet d'adapter les lois et règlements pour tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités (art. 73, avant dernier alinéa).

Sur cette jurisprudence du conseil constitutionnel, établissant l'uniformité du régime des libertés publiques sur le territoire de la République v. not., CC 17 janvier 2002 n°2001-454 DC, à propos de la région Corse, AJDA 2002 p.100.

            Mais le principe d'égalité des citoyens devant la loi et pour l'exercice des libertés publiques est expressément méconnu par les articles 74 et 77 de la Constitution. En effet, ces collectivités peuvent édicter des mesures de discrimination positive en faveur de leur population.

            Ainsi l'article 74 prévoit que les collectivités d'outre-mer pourront prendre des mesures justifiées par les nécessités locales, en faveur de leur population, en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier. En application de l'article 77 de la Constitution, la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie du 19 mars 1999 a établi des discriminations positives pour l'accès à l'emploi en faveur exclusivement des néo-calédoniens.

 

            En définitive, le principe d'égalité entre les citoyens est affaibli par la décentralisation, même s'il a été renforcé en ce qui concerne la parité hommes/femmes.

 

 

B.    Les ruptures d'égalité entre entreprises résultant de la décentralisation

 

            Les initiatives économiques et sociales des collectivités locales sont-elles compatibles avec le principe égalitaire ?

La question peut être examinée sous un double aspect :

-       les interventions locales en matière économique et sociale se trouvent souvent en concurrence avec les entreprises privées assurant des prestations analogues. N'y a-t-il pas rupture dans la concurrence ?

-       en accordant des aides directes pour le développement économique, les collectivités locales ne méconnaissent-elles pas le principe égalitaire au bénéfice des secteurs aidés ?

 

1)      Les interventions économiques et sociales des collectivités locales ne doivent pas être en concurrence directe avec les entreprises privées

 

a)        Après avoir interdit aux collectivités locales d'intervenir en matière économique et sociale au nom de la liberté du commerce et de l'industrie, le conseil d'Etat va autoriser de telles interventions à partir des années 1930 (en liaison avec la crise des années 30), et de plus en plus libéralement.

En réalité, les conditions juridiques de telles interventions sont demeurées identiques depuis les années 1900, mais elles ont été interprétées libéralement à partir de l'entre deux guerres. Les interventions locales en matière économique et sociale doivent être justifiées par un besoin public local, et doivent être nécessaires compte tenu de l'insuffisance, de la carence de l'initiative privée, qu'elle soit quantitative ou qualitative.

C'est précisément cette différence constatée dans les prestations fournies par les collectivités publiques qui justifie, qui légitime leur intervention. Le secteur privé ne fournit pas de tels services (par exemple parce qu'ils sont financièrement peu rentables) ou les fournit à un coût très supérieur, empêchant le public d'y accéder, ou fournit des services comparables, mais de moindre qualité (arguments qui ont permis par exemple la création d'un hôtel-restaurant par une petite commune perdant sa population, ou celle de cinémas et théâtres municipaux présentant des œuvres de qualité). Cette jurisprudence libérale dégagée dans les années 1930 et toujours maintenue est appelée socialisme municipal (v. CE 30 mai 1930 Ch. Syndicale du commerce en détail de Nevers, GA n°48).

 

b)        En revanche, les principes d'une saine concurrence et d'égalité entre les acteurs économiques sont méconnus si les personnes publiques se livrent à des activités économiques ou sociales dans les mêmes conditions que les entreprises privées en nombre suffisant. La jurisprudence n'admet pas que les personnes publiques mobilisent leurs ressources, leurs prérogatives, dans un marché concurrentiel, aux mêmes conditions que les entreprises privées.

Cette solution s'applique quel que soit le mode d'intervention, directement par la collectivité ou par le moyen de sociétés d'économie mixte locales.

Ainsi,

-       un département ne saurait valablement créer un fonds d'assurances agricoles au profit du public alors que de nombreuses sociétés d'assurances exercent leur activité dans le département (CE 4 juillet 1984 Département de la Meuse, RFDA 1985 p.58).

-       une commune des Alpes ne saurait valablement accorder son cautionnement à une SEML ayant pour objet la construction d'un hôtel de luxe destiné à être exploité par une personne privée, alors qu'il existe plusieurs établissements hôteliers de ce type dans la commune, et que de futurs hôteliers se trouvent ainsi défavorisés (TA Grenoble 27 janvier 1988 Ruphy JCP 1989.II.21265).

-       parce que les règles d'une saine concurrence sont méconnues et que les collectivités publiques n'ont pas vocation à se livrer à des activités commerciales, sont illégales la création d'une SEML ayant pour objet la production et la vente de fleurs coupées (CE 10 octobre 1994 Préfet de la région Lorraine c. Commune d'Amneville, AJDA 1995 p.237) et celle d'une SEML ayant pour objet de produire et de vendre des matériaux pour la construction et l'entretien des routes, chantiers etc, quelle que soit la clientèle, publique ou privée (CE 23 décembre 1994 Commune de Clairvaux d'Aveyron Rec. 582, AJDA 1995 p.351).

 

            En définitive, la jurisprudence est traditionnellement libérale depuis 1930 en matière d'interventionnisme économique des collectivités locales, mais elle rappelle les limites quant à l'objet de ces interventions spécialement lorsqu'il s'agit de SEML (v. la jurisprudence citée dans le CGCT Dalloz éd. 2004 sous les articles L 1511-1 s, L 1521-1 et L 2221-29, notes 59 et s.).

 

2)      Le système des aides allouées par les collectivités locales en matière économique est-il compatible avec le principe d'égalité ?

 

            Le système des aides aux entreprises allouées par les collectivités locales a été institué en 1982 par l'Etat dans le but de lutter plus efficacement contre la crise économique en associant les collectivités territoriales. Ce dispositif est codifié aux articles L 1511-1 à L 1511-7 du CGCT sous un titre "Aides aux entreprises". Ce dispositif est l'un des trois moyens d'action offerts aux collectivités locales en matière économique, avec les interventions directes sous forme de services publics locaux dans le cadre de la jurisprudence sur le socialisme municipal, et avec la participation dans le capital de SEML.

Le système des aides aux entreprises prévu par la loi française met évidemment en cause l'égalité entre les entreprises aidées et les autres, et donc porte atteinte au principe de saine concurrence. Il a fait l'objet de critiques multiples qui ont conduit à une modification récente, à savoir l'abandon de la distinction entre les aides directes et indirectes. Les critiques ont visé les éléments suivants du régime des aides ;

 

a)         Le système distinguait les aides directes et les aides indirectes à des entreprises (art. L 1511-1), mais il a toujours été très difficile de les distinguer.

La distinction présente un intérêt dans la mesure où les aides directes, qui se traduisent normalement par un décaissement immédiat, sont limitativement énumérées par la loi (L 1511-2 CGCT) et sont attribuées prioritairement par la région (même article).

            Le conseil d'Etat a précisé cette distinction, mais elle a été abandonnée par la loi du 13 août 2004, qui reformule la rédaction de l'article L 1511-2 du code.

 

-       la priorité de la région pour accorder des aides directes était ressentie comme une tutelle par les autres collectivités, qui ne pouvaient, le cas échéant, que compléter le dispositif institué par la région. Mais la loi du 13 août 2004 modifie cette condition, en prévoyant désormais que la région coordonne sur son terrain les actions de développement économique des collectivités territoriales et de leurs groupements.

 

-       la compatibilité de ce système d'aides aux entreprises, au droit communautaire était douteuse. Une décision de la commission du 12 juillet 2000 a considéré qu'une aide apportée à une entreprise par deux collectivités territoriales sous forme de vente de terrain à un prix très inférieur à sa valeur vénale réelle était irrégulière, et a obligé l'entreprise à reverser l'aide.

            Cette décision a révélé la contrariété au droit communautaire du dispositif d'aides à l'immobilier d'entreprises.

            La loi du 13 août 2004, en même temps qu'elle abroge la distinction entre les aides directes et indirectes, institue un mécanisme de contrôle par la commission des aides allouées par les collectivités locales et leurs groupements comparable à celui des aides d'Etat :

  • notification par l'Etat à la commission des projets d'aides des collectivités locales aux entreprises
  • la commission se prononce sur la compatibilité et donc autorise ou non l'aide allouée par les collectivités locales
  • en cas d'incompatibilité notifiée par la commission ou la cour de justice, la collectivité locale est tenue de récupérer l'aide illégalement accordée
  • à défaut de récupération par la collectivité, le préfet y procède d'office, une telle dépense étant regardée comme obligatoire pour la collectivité locale (nouvel article L 1511-1-1 CGCT).

 

 

-       Le système des aides aux entreprises a été jugé inapplicable lorsque le bénéficiaire est une autre personne publique exerçant une activité économique. Cette solution ne paraît pas très cohérente même si la loi ne vise que les aides aux entreprises.

            A été jugée illégale une aide directe sans intérêt consentie par la région Rhône-Alpes à la chambre de commerce et d'industrie de Lyon en vue de la modernisation de l'aéroport de Satolas (TA Lyon 27 juin 2001 Association contre l'extension et les nuisances de l'aéroport de Lyon-Satolas, AJDA 2002 p.170 note Chouvel).

 

-       En matière d'immobilier d'entreprise, une collectivité locale peut vendre ou louer à des entreprises privées des immeubles pour des prix ou des loyers inférieurs à ceux du marché, mais à condition que cet avantage comporte des retombées réelles en termes de création d'emploi (CE 3 novembre 1997 Commune de Fougerolles, AJDA 1997 p.1010).

Autrement dit, la rupture d'égalité au détriment des autres entreprises doit être compensée par des avantages collectifs en termes économiques.

 

-       Il est évident que des aides qui n'entreraient pas dans le cadre légal des aides aux entreprises, peuvent constituer le délit pénal de favoritisme, en cas d'atteinte à l'égalité d'accès aux marchés publics.

 

-       A noter que les communes ne peuvent plus accorder d'aides aux entreprises en difficulté. Cette compétence est désormais reconnue aux départements et aux régions, dans le cadre de conventions passées avec les entreprises en difficulté (art. L 3231-3 CGCT).

 

            En définitive, la portée du principe d'égalité en matière de décentralisation apparaît limitée et malaisément définissable. Cela tient au fait que le principe d'égalité a, dans tous les domaines, une portée relative et que la décentralisation accroît les inégalités, souvent volontairement.

 

 

Corrélats :

1)        Personnes publiques, administrations

                 Etat (indivisibilité de la République)

                 Nation - Souveraineté nationale

                 Interventions économiques et sociales des collectivités locales

                 Autodétermination, auto-organisation

                 Tutelle

                 Statut de l'élu (parité homme/femme)

                 Peuple

                 Départements, régions, collectivités d'outre-mer

                 Collectivité chef de file- SEML

                 Services publics locaux

 

2)        Principes et règles de droit, actes législatifs et administratifs

                 Egalité

                 Libre administration des collectivités territoriales

                 Libertés publiques

                 Lois de pays

                 Aides économiques

                 Codification

                 Domaine de la loi

                 Transfert de pouvoir législatif aux collectivités d'outre-mer

                 Expérimentation

                 Droit communautaire (concurrence)

                 Pouvoir réglementaire local

                 Droit de la concurrence

 

3)        L'administré

                 Egalité des usagers des services publics locaux

                 Egalité des citoyens devant le suffrage

                 Egalité homme/femme

                 Libertés publiques (atteintes, discriminations émanant des collectivités locales)

                 Discriminations positives

                 Egalité des entreprises en concurrence

                 Immobilier d'entreprise

                 Interventionnisme économique des personnes publiques

                 Aides - droit communautaire

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